SPIRIT OF TRAIL La team Trail & Montagne du CA Balma

Profil

Didier Arnal-Brezun

Posté le 14/08/2024 à 18h31

Raid Ultra Marin 2024 par Jean-Louis

Contexte

Fin août 2023. Cela fait trois ans que j’ai arrêté l'entraînement sportif en club de triathlon suite au confinement et que je ne fais plus que de l’entretien. Ma situation géographique étant enfin stabilisée à Toulouse et n’ayant pas de projet particulier, je décide de m’inscrire au Club d’Athlétisme de Balma. A la base, l’idée est juste de me remettre dans une routine d'entraînement, avec le mindset et la discipline qui va avec, sans pour autant retrouver la vie de moine que je menais à l’époque. Lorsque la crise du Covid avait eu lieu, mon but de l’époque était de me tourner vers les ultra trails, avec sans doute un jour l’objectif de tenter l’UTMB. Le dénivelé étant mon point faible, surtout en raison de la flemme de le travailler, et ayant envie de voir la mer, je décide de m’inscrire à l’Ultra Marin, trail côtier autour du golfe du Morbihan, fin Juin 2024.

L’année défile et les entraînements s'enchaînent. Le niveau du club est très bon (classé deuxième d’Occitanie), et la difficulté n’est pas tant le niveau des entrainements que de m’aligner sur un mindset de gens qui pour beaucoup ont un niveau d’engagement très fort et vivent par et pour le trail. Mais globalement, ça passe. L’ambiance est très sympathique et mis à part deux mois d’arrêt fin 2023 en raison d’une blessure au genou, la montée en charge se passe bien. Sur les conseils du coach Didier, je m’inscris sur la distance de 100km, celle de 175 lui paraissant trop ambitieuse pour une première année de reprise.

Derniers jours avant l’épreuve. Suite à un imprévu personnel, je n’ai pas pu m'entraîner beaucoup et n’ai fait que deux sorties de 3h sur toutes celles prévues sur le plan d'entraînement, et n’ai pas été au club depuis un mois. Je commence à stresser un peu. Heureusement que je me suis inscrit dans le sas le plus lent, le seul où il restait de la place avec le plus rapide.


Avant course

Vendredi 28 Juin 2024, jour de l’épreuve. Je suis arrivé la veille en Blablabus et ai été récupérer mon dossard au village de la course sur le port de Vannes, où l’ambiance commence à monter. Je petit-déjeune et met en boucle la musique Victory de Two Steps From Hell pour me mettre en condition. J’enfile mon “war jacket” et vérifie une dernière fois le matériel : en comptant les deux litres d’eau et tout le matériel obligatoire, il ne doit pas être loin des quatre kilos. Pour l’alimentation, j’emporte six barres Clif de Décathlon au beurre de cacahuète (classées premières par le nutritionniste Nicolas Aubineau sur son classement 2024) et six barres Aptonia aux dattes et bananes (classées secondes). Au rythme d’un sixième des premières et d’un tiers des secondes toutes les vingt minutes, je peux théoriquement tenir dix-huit heures, sans compter les ravitos, ce qui est largement suffisant. Un progrès par rapport à mes épreuves passées : j’ai perdu ma mauvaise habitude de toujours prévoir au plus juste. Après confirmation la veille par l’organisation qu’il n’y aurait pas de boisson isotonique sur les ravitaillements, je prends le reste de mon sac de poudre isotonique Iso+ de Décathlon (classée première par Nicolas Aubineau). Les avis des anciens de l’épreuve sur Facebook disant qu’il est possible de faire l’épreuve en chaussures de running et non de trail, je prends mes Glide 6 d’Adidas. Enfin, je décide de ne pas prendre mes bâtons, qui pourraient me soulager à la fin de l’épreuve, mais me feraient trop de matériel à manutentionner.

J’arrive sur le village de course vers 9h et monte directement dans un bus qui part pour Sarzeau, départ du Raid, à une demi-heure. J’ai appris hier que c’était seulement le sas 1 qui partait à 11h, heure théorique du début de l’épreuve, et que les autres partaient toutes les vingt minutes. J’ai donc trois heures à attendre. J’envoie des sms à mon amie Mathilde qui court la Ronde des douaniers dimanche et va venir me voir à Auray à la moitié du parcours et je poste une vidéo sur Facebook. La place de Sarzeau se remplit doucement et l’ambiance commence à monter. Je discute avec quelques personnes, dont une ancienne de la course qui donne quelques conseils. C’est là que j’apprends que la musique officielle de la course, sur laquelle se font tous les départs et l’arrivée des élites, est… Victory de Two Steps From Hell. Bon présage.

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Les départs s'enchaînent, sous la houlette du speaker qui harangue la foule. Enfin, le dernier sas entre dans la zone de départ. Je respire un grand coup. Encore quelques minutes et ce sera l’entrée dans l’inconnu. Les dernières secondes. Enfin, le sas s’élance.


Course

Nous passons dans les rues de Sarzeau où la foule nous acclame. Je cherche à bien doser mon effort, surtout rester en mode jogging, sachant que nous sommes ralentis par le poids des sacs. C’est l’avantage de partir dans le dernier sas, on n’est pas tenté de forcer. Après être sortis de la ville, nous empruntons des chemins forestiers à peu près propres (ie sans racines ni cailloux) sur lesquels il est possible de courir. Je jette un coup d'œil sur la boussole de ma montre : nous allons vers le Sud-Ouest.

Après une petite dizaine de kilomètres, nous débouchons soudainement sur la mer et empruntons le sentier côtier. Le paysage est magnifique et les vacanciers nous acclament. On ne va pas se mentir, c’est l’une des raisons qui nous attire sur ce type d’épreuve. Par contre, maintenant que nous avons quitté le couvert des arbres il fait très chaud. J’ai heureusement pensé à prendre ma casquette et un buff et à m’enduire de crème solaire, mais j’ai oublié les jambes et aurai deux beaux coups de soleil sur les mollets le lendemain. J’essaye de boire régulièrement en tournant au minimum à un demi-litre toutes les heures.

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Au bout de quelques kilomètres nous arrivons au ravitaillement de Saint Gildas de Rhuys. Je m’arrête quelques dizaines de mètres avant et m’accroupis afin de remettre de la poudre isotonique dans ma flasque vide. J’avais peur que cette opération ne me prenne du temps mais au final je ne mets qu’une minute. Je remplis ma flasque avec la bouteille que me tend un bénévole, mange quelques tucs et repars.

Nous continuons à serpenter sur le sentier côtier, où parfois des goulets d’étranglement se forment sur les singles. Mais globalement nous avançons à un bon rythme, passant de temps en temps sur la plage auprès des vacanciers. Puis nous arrivons à Arzon, ou nous faisons le tour du port salués par les touristes attablés dans les terrasses des bars. Enfin, juste après, nous arrivons au ravitaillement de Port Navalo, après trente kilomètres de course, ou nous devons prendre un bateau pour aller jusqu’à Locmariaquer de l’autre côté du golfe.

A l’entrée du ravitaillement, après avoir passé le point de contrôle, un bénévole nous indique de stopper nos montres, le temps de la traversée n’étant pas décompté. C’est là que nous nous apercevons que le ravitaillement a été dévalisé par les sas précédents et qu’il ne reste quasiment plus rien. En ce qui me concerne ça ne me gêne pas trop, ayant l’habitude de m’alimenter essentiellement avec mes barres énergétiques. Nous enfilons des ponchos et faisons la queue pour prendre l’un des zodiac qui font des rotations entre Port Navalo et Locmariaquer. J’en profite pour envoyer un sms à Mathilde et mettre un message sur le groupe WhatsApp du club, ou je découvre les messages d’encouragement des autres, ça fait vraiment plaisir ! Je fais aussi un premier bilan : je ne peux que me féliciter du choix du matériel. Les chaussures de runnings font le job et je ne ressens pour l’instant aucune courbature.

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Nous enfilons des gilets de sauvetage, embarquons à huit dans un zodiac et entamons la traversée. Le temps est magnifique et nous profitons des embruns pour nous rafraîchir. L’ambiance est excellente. Enfin, nous accostons et reprenons la course, après une pause de trois quarts d’heure.

17h45. Après environ 4h30 de course j’atteins le ravitaillement de Crac’h, qui est l’un des deux ravitaillements où il y a du salé : jambon, fromage, pâtes, soupe. Miam ! J’évite quand même les pâtes, craignant de ne pas pouvoir repartir après. J’envoie le sms prévu à Mathilde pour lui donner mon heure d’arrivée approximative et repars, non sans avoir comme à chaque fois refait le plein de mes flasques avec de la boisson isotonique.

19h. J’approche du kilomètre 50. La mi-course. Soudain, en bas d’une descente : Mathilde ! Ça fait vraiment plaisir de voir un visage connu et de pouvoir discuter quelques minutes, surtout que nous ne nous sommes pas vus depuis plus d’un an. Repartir me fait un pincement au cœur, heureusement il y a le ravitaillement du Bono quelques kilomètres plus loin.

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Ravitaillement du Bono, 6h30 de course. Je bois entre 600 et 800 millilitres par heure et n’ai pas été aux toilettes depuis au moins trois heures. Je décide d’y passer pour vérifier : c’est bon, vue la couleur je ne suis pas déshydraté, contrairement à l’Ironman de Nice il y a cinq ans. Je remplis mes flasques et mon camelbak avec mes dernières doses de boisson isotonique. Une merveille, cette poudre isotonique ! J’ai fait plus de cinquante kilomètres et je ne ressens quasiment aucune courbature dans les jambes. Ca avait déjà changé ma vie en cyclisme à l’époque où je faisais du triathlon, mais je me rends compte que ça fait aussi la différence en ultra. Je suis un peu inquiet quant au fait que je serai à court dans deux heures, mais ça correspondra à l’heure de coucher du soleil, où la dépense hydrique devrait fortement baisser. Je raccroche mon sac et repars, un peu morose : je n’ai plus de ballade en bateau à faire et plus personne à voir, c’est maintenant que la vraie difficulté de l’ultra trail va commencer.

J’avance dans le soir tombant, alternant chemin côtier et sentier forestier, parfois très étroits. La difficulté est de devoir switcher très régulièrement entre course et marche, s'arrêtant dès qu’il y a des racines et des cailloux et reprenant dès que le terrain est plat, avec le plus souvent une visibilité à quelques mètres. La trace sur la boussole n’a aucun sens, nous allons tantôt dans un sens, tantôt à l’exact opposé. Je rêve d’une longue ligne de bitume bien droite ou je pourrais dérouler. Je n’oublie pas un réflexe qu’il faut avoir en trail comme dans la vie en général : lorsque l’on est face à une grosse difficulté, penser à la décomposer en sous tâches plus facilement réalisables individuellement. Ne pas se dire “il me reste quarante kilomètres à faire”, mais “dans six kilomètres j’aurai fait les deux tiers du parcours”. J’ai envie d’en finir mais le mental reste bon. Il y a bien une petite voix en moi qui me dit que tout ça n’a aucun sens, que l’organisation est idiote de nous faire faire tous ces détours alors que nous pourrions avancer en ligne droite, mais elle reste sous contrôle. Et malgré la distance je n’ai toujours pas de grosse douleur, sauf aux épaules lorsque je tourne la tête pour boire, sans doute due au poids du sac. Enfin, un peu après le kilomètre 70, c’est le ravitaillement de Larmor Baden.

Comme le ravitaillement de Crac’h, celui de Larmor Baden est un ravitaillement salé. Je décide de faire une bonne pause pour me ravitailler, d’autant que le sucré commence à me dégoûter. Il y a un peu plus d’une heure, j’ai laissé tomber les barres Clif après en avoir mangé trois en six heures, et suis passé sur les barres Aptonia. Je mange bien et bois deux soupes, toujours en évitant les pâtes. Au bout de vingt minutes, après avoir rangé ma casquette et coiffé ma frontale, je repars. Prochain objectif : le ravitaillement d’Arradon, dans vingt kilomètres.

Nous continuons d’avancer sur un chemin côtier. Le ravitaillement salé m’a requinqué et mon moral est remonté, je continue à courir lorsque c’est possible et double quelques participants. Je switche d’un “pacer” à un autre, utilisant comme lièvre les participants encore en état de courir. L’objectif mental de 75km passe, puis celui de 80km. A partir de là, la course redevient difficile, surtout que nous passons une grosse zone de racines et de pierres ou nous devons rester de longues minutes à avancer lentement les uns derrière les autres, en manquant régulièrement de trébucher. L’alimentation devient difficile, les barres Aptonia me dégoutent à leur tour et j’ai la gorge sèche malgré le fait de boire très régulièrement. Je me force à continuer à manger, en espaçant les prises alimentaires toutes les demi-heures. Mon niveau de conscience est descendu, ce qui m’arrive habituellement dans ce genre de situation pour supporter l’ennui et la douleur. J’avance comme un zombie, sans trop savoir ce qui se passe, en mode automatique. Je n’espère plus rien. La musique de Victory tourne dans ma tête. Ta-ta ta-ta-ta. Ta-ta ta-ta-ta. Ta-ta ta-ta-ta. Ta-ta ta-ta-ta. Le fait d’avoir scrupuleusement rythmé mes prises alimentaires m’évite de faire des erreurs quand le cerveau déclare forfait. Puis, un peu après le kilomètre 85, après de nombreuses alertes, la Garmin s’éteint. C’était prévisible, les montres de la gamme Forerunner ne sont pas dimensionnées pour les ultra trails. J’entre dans une autre dimension, expérimentant encore un peu plus le détachement de tout ce qui m’entoure. Pendant un long moment nous passons sur un passage de 50 centimètres de large le long d’un mur, juste au-dessus de la mer. Puis nous descendons sur ce qui était une plage, mais qui a été recouverte par la marée montante et devons avancer le long d’un mur avec de l’eau jusqu’aux genoux. Je marche sur des œufs, dans la hantise que mon téléphone soit mouillé. Enfin, au bout d’un temps inmesurable, nous émergeons du “blackpit” et arrivons au ravitaillement d’Arradon.

Ravitaillement d’Arradon, 2h du matin, 90km. Théoriquement, plus que 10km avant l’arrivée. Théoriquement, parce que d’après des échos sur Facebook avant la course, le Raid fait en réalité entre 105 et 110 km. Effectivement, un bénévole nous confirme qu’il en reste une quinzaine à faire. Ok. De toute façon, à ce stade, le succès est quasi certain. Et ils ont de la soupe ! Il faut peu de choses pour que le moral remonte. Après avoir une dernière fois refait le plein de mes flasques et avalé quelques tucs et morceaux de bananes, je repars avec un groupe de trois personnes.

Le parcours commence bien, avec de longues sections de bitume sur lesquelles nous nous mettons à courir dès qu’elles ne sont pas en montée. Mon moral remonte ! Nous avançons ainsi pendant quelques kilomètres, profitant des phases de marche pour discuter. Je suis content d’avoir trouvé des compagnons. Je décide de finir la course avec eux. Mais ce n’est pas pour tout de suite, nous replongeons dans les chemins forestiers. Ça me rappelle la Saintélyon, où même sur les derniers kilomètres le parcours passait sur des sentiers difficiles. Mes compagnons ont de plus en plus de difficultés à relancer et nous proposent de repartir devant. Je préfère rester. Je n’ai personne qui m’attend et n’ai pas envie de finir cette course seul. Une vingtaine de personnes nous dépassent. Pas grave. Nous marchons silencieusement dans la campagne. La musique de Victory tourne dans ma tête. Je n’ai pas mémorisé la fin de course et ne sais pas par quel côté nous allons arriver. Enfin, nous atteignons une longue ligne droite avec des bateaux amarrés. A un moment, un jeune homme qui attendait sur le côté de la route nous rejoint. J’apprends que c’est le fils de l’un de mes compagnons qui est le frère de l’un des autres. Il reste moins d’un kilomètre. Nous marchons calmement. Enfin, l’aire d’arrivée apparaît. Nous entendons la musique à faible volume tandis que le speaker continue inlassablement à accueillir les finishers. Nous décidons de courir pour passer la ligne. Nous passons. Il est 4h25 du matin.

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Après course

Après avoir passé la ligne, nous allons chercher la médaille et le tee-shirt finisher. Puis nous allons déguster la galette saucisse offerte aux finishers. Je dis au revoir à mes compagnons d’une nuit et retourne à mon Airbnb prendre une douche et me coucher.
Je me lève le lendemain à dix heures et vais directement sur le site de la course déguster un burger et boire une bière. L’ambiance bat son plein pour accueillir les finishers des autres épreuves. Les larmes me viennent en attendant ma commande, je commence seulement à réaliser.


Bilan

Une épreuve ultra est toujours une plongée en soi-même, comme une psychothérapie. On est mis face à ses doutes, face à ses peurs, face à ses limites, face à ses espoirs aussi.
J’aurai 40 ans l’année prochaine. Je pensais que mes grandes années sportives et les prouesses que j’y avais accomplies étaient derrière moi. Je n’avais repris l'entraînement que depuis un an après plusieurs années d’arrêt et envisageais à nouveau d’arrêter l’année prochaine. Je voyais cette épreuve comme un bouquet final. Je pensais que c’était le fait de me battre comme si ma vie en dépendait à une époque où je n’avais que le sport dans ma vie qui m’avait rendu si performant par le passé. Je me rends compte que le fait d’avoir gagné en sérénité me rend plus stable, plus solide mentalement. Que le fait d’être moins dans l’obsession m’évite de faire des erreurs. Que j’ai encore une marge de progression. Que j’ai des amis sur qui je peux compter.
Je me donne l’été pour réfléchir, mais cette course m’aura regonflé à bloc. Je sais que je peux continuer à avancer.

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